Abordage de l'U-559



Une partie de l'équipage de l'U-559

- En Février 1942, neuf mois après la capture secrète de l'U-110, l'U-Boot-Waffe modifie son système de chiffrement en introduisant un quatrième rotor pour la machine Enigma. Pour ce faire, des rotors plus fins sont fournis, dont certains avec le câblage d'origine, afin que quatre rotors puissent être insérées dans l'emplacement précédemment occupé par trois rotors. Malheureusement pour les hommes qui servent dans les U-Boote, cette mesure est prise à un moment où d'autres changements radicaux se produisent dans le schéma général de la guerre, ce qui signifie que personne en Allemagne ne remarque la diminution de l'efficacité des services de renseignements Britanniques. Cette simple omission doit être considérée comme l'une des plus grandes erreurs de la guerre.

- De l'autre côté, la Grande-Bretagne et les États-Unis ne sont pas encore assurés de la victoire dans l'Atlantique. En effet, l'automne 1942 est l'une des périodes les plus déprimantes pour les Alliés. En Août, le nombre moyen quotidien de U-Boote dans l'Atlantique atteint 100 et reste à ce niveau record jusqu'à la fin du printemps de l'année suivante. Cependant, la Grande-Bretagne fait des progrès fantastiques dans sa campagne anti-U-Boote, en introduisant des techniques plus efficaces, un plus grand nombre de navires et d'avions, et en utilisant de nouvelles technologies. Le succès des U-Boote individuels donc diminue considérablement, mais l'apparition d'un si grand nombre d'entre eux signifie que les pertes de la marine marchande restent relativement élevées. Pour résoudre ce gigantesque casse-tête, les Alliés ont désespérément besoin de connaître le code Triton, le nouveau code Enigma à quatre rotors utilisé par les U-Boote. La Grande-Bretagne a judicieusement baptisé ce nouveau code 'Shark' (requin).

- La percée survient de manière inattendue à l'automne 1942, lorsque des hommes de la Royal Navy montent à bord de l'U-559 en Méditerranée orientale, récupérant du matériel permettant à Bletchley Park de retrouver le code des U-Boote et de lire ensuite le message Enigma pour l'Atlantique. Ni l'U-Boot ni son commandant ne sont très connus et figurent rarement dans les premiers récits de la guerre. Pourtant, le Kplt Hans Heidtmann est chevalier de la Croix de Fer, ce qui suggère qu'il a contribué plus que la plupart aux batailles navales. L'U-559 effectue sa première croisière opérationnelle le 04 Juin 1941, peu après la capture de l'U-110 et le naufrage du cuirassé Bismarck, mais avant la reddition de l'U-570. Lors de cette première croisière, l'équipage découvre la férocité de l'Atlantique Nord, la rigueur des conditions météorologiques et la frustration engendrée par la chasse aux convois insaisissables. De plus, ils subissent des escortes agressives. Malgré ces épreuves, l'U-559 ne rentre pas les mains vides. Plus tard, en Septembre 1941, Heidtmann devient l'un des six commandants chargés de former une première vague de U-Boote à envoyer en Méditerranée. Passant par le détroit de Gibraltar, il arrive à Salamine (Grèce, près d'Athènes) le 20 Octobre, soit un mois exactement après avoir quitté Saint-Nazaire. L'U-559 continue de participer au cœur des combats, même si la contribution d'Heidtmann ne semble pas avoir été pleinement reconnue à l'époque. Il ne reçoit la Croix de chevalier que bien plus tard, alors qu'il est déjà prisonnier de guerre depuis cinq mois.

- Heidtmann est né dans une gare de campagne près de Lübeck le 08 Août 1914, moins de deux semaines après le début de la Première Guerre mondiale. À l'âge de 20 ans, il s'engage dans la marine en tant qu'aspirant officier et acquiert de l'expérience à bord de divers navires de surface avant de suivre sa formation de sous-marinier. Au début de la Seconde Guerre mondiale, il est officier de quart à bord de l'U-33, le bateau qui sombrera plus tard dans l'estuaire de la Clyde et qui fournira à la Grande-Bretagne les premières rotor d'Enigma. Heidtmann quitte l'U-33 à la fin de son premier voyage de guerre pour devenir apprenti commandant de l'U-14 sous la direction d'Herbert Wohlfarth.

- Heidtmann est un homme sans prétention, tranquille, apprécié de ses hommes et respecté pour son calme et son professionnalisme. C'est le 29 Septembre 1942, un an et neuf jours après son arrivée en Méditerranée, qu'il part de Messine en Sicile pour sa dernière croisière de guerre. Il n'est certainement pas du genre complaisant, ni du héros agressif qui doit à tout prix en découdre. Lorsque la fin est finalement arrivée, il est bien préparé et fait un grand effort pour sortir ses hommes de leur bateau avant qu'il ne les engloutisse. Une grande partie de l'histoire de l'U-559 semble s'achever sur des coïncidences et des chiffres faciles à trouver. Même sa fin est survenue presque exactement un mois après avoir quitté Messine. C'est peu après le lever du soleil, le 30 Octobre 1942, qu'un Sunderland, qui effectue une reconnaissance maritime générale, entre en contact avec quelque chose qui ressemble à un sous-marin. Malheureusement pour les aviateurs, la clarté cristalline de la matinée méditerranéenne permet également aux veilleurs qui se trouvent dans la baignoire de l'U-559 d'apercevoir le géant volant. Le contact sur l'écran radar disparaît bien avant que le Sunderland n'atteigne l'endroit et un examen plus approfondi de la mer vide ne révèle rien d'autre qu'une eau calme et bleue.

- Les aviateurs se demandent s'il y a vraiment quelque chose dans l'eau. Ce point sur l'écran radar est-il une illusion ou un reflet de la surface de la mer ? De telles erreurs se sont déjà produites auparavant et désormais, plusieurs hommes surveillent l'écran dès qu'un élément inhabituel apparait. Cela semble confirmer que l'écho est bien réel. Il doit s'agir d'un sous-marin. Cependant, ce n'est qu'une fois la nouvelle rapportée à la base que l'on peut être totalement certain qu'il ne s'agit pas d'un sous-marin britannique. Ils se trouvent près de Port-Saïd en Égypte, à l'extrémité nord du canal de Suez et au cœur des activités navales britanniques, ce qui signifie que le Sunderland aurait très bien pu toucher l'un de ses propres bateaux. L'erreur d'attaquer son propre camp a déjà été commise auparavant. Le H.M.S. Oxley (Serie O), premier sous-marin britannique coulé pendant la guerre, a été détruit par une torpille tirée depuis le H.M.S. Triton (Serie T). De plus, la Grande-Bretagne n'est pas la seule concernée par ce problème. Les unités allemandes ont également coulé un grand nombre de leurs propres navires.

- Le hasard a voulu que le destroyer H.M.S. Hero (Lt-Cdr W. Scott) arrive dans l'heure qui suit l'interception de l'appel du Sunderland, de sorte que le navire et l'avion poursuivent les recherches, mais rien ne sera trouvé, même avec l'aide d'un Asdic. Il est environ midi lorsque quatre autres navires, les destroyers Pakenham (Capt E. K. B. Stevens), Petard (Lt-Cdr Mark Thornton), Dulverton (Cdr W. N. Perch) et Hurworth (Lt D. A. Shaw) arrivent de Port-Saïd, avec le soutien d'un bombardier Wellesley du N° 47 Squadron de la RAF. Pakenham balaye la zone avec l'Asdic depuis moins d'une heure lorsque le « pong » positif d'un objet submergé se fait entendre. À ce moment-là, la tactique a considérablement changé et l'avion ne largue plus ses charges de profondeur avec le vague espoir d'atteindre sa cible. La raison est que le contact Asdic est perdu dès que le chasseur s'approche trop près, ce qui oblige à larguer les charges de profondeur à l'aveugle. Bien que le délai entre la perte de contact et le largage des charges de profondeur ne soit pas très long, il donne l'avantage au commandant de l'U-Boot en lui permettant d'accélérer et de changer de direction pour échapper à l'explosion. Après tout, il entend les impulsions Asdic ainsi que les bruits d'hélice et les éclaboussures des charges de profondeur frappant les eaux. Appelant le Petard, Pakenham maintient le contact Asdic avec le sous-marin en plongée tandis que son consort manœuvre à la surface pour larguer un pattern de cinq charges de profondeur, ajustée à différentes profondeurs. Cela ne produit aucun résultat, si ce n'est de perturber les hommes de l'U-559. Ils ont déjà vécu cela. Aussi effrayant que cela puisse être, ils savent que le vieil homme peut surpasser n'importe qui à la surface. De plus, le souffle des explosions crée un tel chaos dans l'eau qu'il faut un certain temps pour que la situation se calme et que l'Asdic reprenne contact. À l'intérieur de l'U-Boot, la situation est inconfortable et effrayante, mais pas nécessairement mortelle.

- La deuxième fois, alors que l'U-Boot est désormais localisé par deux appareils Asdic, un troisième navire largue davantage de charges de profondeur. Une fois encore, rien ne se passe. Le jeu du chat et de la souris se poursuit, les navires de surface perdant le contact, le reprenant, se rapprochant au son obsédant de l'Asdic, puis bombardant la zone de nouvelles charges de profondeur. À chaque fois, rien. Juste des déflagrations assourdissantes. Encore plus de charges de profondeur. Encore plus de déflagrations, mais toujours aucun résultat. Le déjeuner est depuis longtemps oublié. Ce maudit Asdic ruine un repas tranquille. La nuit commence à tomber et il n'y a toujours aucun résultat. C'est le genre de moment exaspérant où les marins commencent à remettre en question l'autorité de leurs officiers supérieurs. Est-il simplement en train de poursuivre un banc de poissons ? Ou une couche d'eau froide dans les profondeurs ? Les deux sont possibles. Pourquoi diable les officiers doivent-ils persévérer alors que tout le monde peut voir qu'il n'y a rien là ?

- Ce n'est pas seulement les hommes qui jurent sur le pont qui remettent en question la santé mentale des officiers commandants. Au cours de ces longues chasses, les commandants eux-mêmes se demandent souvent s'il est utile de continuer. Pourtant, malgré la frustration, la détermination dicte que la chasse doit se poursuivre. Quelqu'un a même l'idée novatrice que l'U-Boot peut se trouver à une profondeur supérieure à la profondeur maximale des charges de profondeur et suggère de boucher les trous de l'amorce avec du savon. Tout vaut la peine d'être essayé, mais au début, cela ne semble pas faire beaucoup de différence, si ce n'est allonger le temps entre le lancement des charges de profondeur et leur explosion.

- Du côté des victimes, la situation est inconfortable depuis un certain temps déjà. Heidtmann a dépassé le stade où chaque commandant espère que la prochaine charge de profondeur mettra fin à cette misère. Après avoir passé tant de temps sous l'eau, l'intérieur du bateau sent comme des toilettes publiques qui n'ont pas été nettoyées depuis longtemps. La plupart des membres d'équipage se sont 'retirés' dans leurs bannettes avec leur équipement respiratoire. Pour ceux qui ont du travail à faire, le silence absolu est de mise. S'ils doivent se déplacer, ils enveloppent même leurs chaussures dans des chiffons pour éviter tout bruit de frottement ou de cliquetis.

- Les incidents se succèdent, mais le précieux profondimètre reste intact, ce qui permet de maintenir le sous-marin dans les profondeurs, où la pression extrêmement élevée de l'eau garantit que les détonations seront moins efficaces et que l'explosion n'affectera qu'une zone réduite. Rien n'est critique. Rien n'est fatal. L'U-559 a survécu. Au final, c'est l'intensité de la longue chasse qui ramène le bateau à la surface. L'air vicié dans le sous-marin aurait pu tenir encore une bonne partie de la journée, mais les accélérations constantes à grande vitesse pour échapper aux charges de profondeur ont raison du bateau. Les hommes à bord de l'U-559 en ont compté 288, et la plupart sont suffisamment proches pour que tout le monde pense que la prochaine va être fatale.

- Cette consommation supplémentaire d'énergie épuise la batterie, alors que l'électricité est essentielle pour maintenir la profondeur. Ce point critique, combiné à la charge explosive supplémentaire placée à une profondeur extrême, finit par forcer l'U-559 à faire surface. Sachant qu'il ne peut plus survivre, Heidtmann se prépare à abandonner le bateau aussi vite que possible. Il s'agit donc d'ouvrir les panneaux et de faire surface pendant que tout le monde se précipite à l'extérieur. C'est une manœuvre que personne n'a jamais pratiquée. Il est également pratiquement impossible de choisir le bon moment. Personne ne peut savoir combien de temps il faudra pour que l'intérieur se remplisse d'eau et coule. Pourtant, près de cinquante vies dépendaient du fait que le bateau ne coule pas trop vite.

- À première vue, les hommes à bord du H.M.S. Petard sont tout aussi épuisés que ceux du sous-marin. Ils sont en action depuis plus de 12 heures, souffrant de la chaleur intense d'un soleil impitoyable. Ils ont passé la majeure partie de ce temps à leurs postes de combat, ce qui ne leur a pas permis de se reposer. C'est pendant la fraîcheur du soir, à 22h40, qu'ils sentent l'odeur caractéristique du diesel et, presque instantanément, l'opérateur Asdic signale le bruit caractéristique de l'air comprimé soufflé dans les ballasts. Une tache blanche commence à apparaître à la surface noire de l'eau peu avant que le sous-marin ne fasse surface. Un faisceau de projecteur éclaire le massif tandis que le canon de 4 pouces du Petard et plusieurs canons de plus petit calibre ouvrent le feu. Les événements se précipitent alors, beaucoup plus vite qu'il n'en faut pour écrire ou même lire. Au début, la Royal Navy a l'intention de couler sa proie, mais dans la confusion et l'excitation, elle se rend compte qu'un groupe d'abordage peut monter à bord. Les tirs saccadés de la nuit laissent place à un silence effrayant, où l'obscurité, tranchée par ce faisceau blanc brillant, n'est ponctuée que par le clapotis de l'eau contre le métal et par les cris des hommes de l'équipage de l'U-559 qui abandonnent le bateau.

- Le sous-lieutenant (Sub-Lt) Gordon Connel met la baleinière à l'eau, tandis que le premier lieutenant (First Lieutenant) Antony Fasson et le matelot de 2e classe (Able Seaman) Colin Grazier se déshabillent pour nager jusqu'au U-Boot. Ils sont rejoints par Tommy Brown, un jeune cantinier de 16 ans, qui a menti sur son âge pour intégrer la marine. L'U-559 a au moins un trou de 10 cm, ainsi que plusieurs dizaines de petits impacts, et parait désormais presque fantomatique dans le faisceau lumineux et intense du projecteur. Les planificateurs de la Royal Navy ont réfléchi depuis longtemps à la possibilité d'aborder un U-Boot et Fasson sait donc ce qu'il cherche. La plupart des navires susceptibles d'entrer en contact avec un U-Boot ont à leur bord des hommes spécialement préparés. Aussitôt, sans prendre le temps de calculer le risque, Fasson et Grazier descendent à l'intérieur, défoncent les portes des placards verrouillés et remet les pièces essentielles à Brown, qui fait trois voyages jusqu'au sommet du massif, transportant soigneusement les objets qui lui sont remis. Un autre marin, Ken Lacroix, l'aide en descendant une corde pour hisser les objets les plus lourds. Tout est soigneusement rangé à bord de la baleinière lorsque Brown réalise que le bateau est en train de couler. Il crie aux deux autres de remonter, mais bien qu'ils se trouvent maintenant dans soixante centimètres d'eau montante, ils lui tendent un autre tas et poursuivent leurs recherches. Soudain, sans prévenir, alors qu'il atteint le haut de l'échelle, le bateau s'enfonce plus profondément. Brown crie dans la puanteur étouffante. Cette fois, les deux hommes en bas répondent à son appel, mais l'eau s'engouffre par le panneau ouvert avant qu'ils ne puissent s'échapper. Brown franchit le kiosque, essoufflé lorsqu'il réalise que tout est fini. Connel et quelques autres hommes sont emportés par les eaux, mais l'U-Boot coule avec Fasson et Grazier toujours à bord.

- Leur sacrifice est plus qu'incroyable. Il permet à Bletchley Park de déchiffrer à nouveau le code des U-Boote et fournit aux cryptanalystes un certain nombre de livres de codes essentiels pour aider à comprendre le torrent de messages Enigma qui affluent constamment. Le courage des trois hommes ne leur vaut pas la Victoria Cross, car leur action ne s'est pas déroulée face à l'ennemi. Ils reçoivent donc la George Cross à la place. Malheureusement, Tommy Brown, le plus jeune récipiendaire de cette médaille, meurt avant qu'elle ne lui soit remise. Deux mois avant la fin de la guerre, alors qu'il sert comme assistant cantinier à bord du croiseur H.M.S. Belfast, le navire fait escale à Tynemouth, où vit la famille de Tommy, pour être rénové, et il obtient la permission de rentrer chez lui. Il y meurt dans un tragique incendie. Heidtmann et la majorité de ses hommes survivent et sont faits prisonniers de guerre. Malgré les tirs intenses, seuls sept hommes perdent la vie.


Glossaire
Source : ENIGMA U-BOATS Breaking the Code (avec mes propres corrections).

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