Capture de l'U-110
(Suite)



L'état d'esprit de Lemp

- Pour comprendre pourquoi l'U-110 est si rapidement abandonné par l'un des commandants les plus expérimentés et les plus combatifs, il est nécessaire de revenir sur ce qui se passe dans son esprit à l'époque. Outre ses propres problèmes avec les torpilles, Lemp sait sans doute que d'autres U-Boote ont connu des difficultés similaires. Certains U-Boote ont même été perdus à cause de cela, et les informations vitales ont été transmises en Allemagne par des survivants des camps de prisonniers de guerre grâce à une lettre codée secrète. Les proches de certains officiers clés ont été chargés de transmettre le courrier des prisonniers au Haut Commandement naval, où les messages cachés sont extraits de notes personnelles apparemment anodines.
Voir Code Irlande.

- Tout au long de l'automne 1940, les succès des U-Boote sont incroyablement fréquents, seuls un ou deux étant perdus chaque mois. De plus, aucun bateau n'est perdu en Janvier et Février 1941. Ces circonstances encouragent les commandants comme Lemp à naviguer plus près du vent et, peut-être, à prendre des risques qu'ils auraient évités plus tôt. Lemp sait que son sous-marin peut aller plus vite en surface que la plupart des escorteurs, qu'il est difficile pour les Britanniques de repérer un sous-marin en surface par nuit noire et que, même en plongée, il risque d'être confronté à quelques attaques de charges de profondeur peu enthousiastes, avant d'être abandonné. En fait, le ping effrayant de l'Asdic est souvent pire que les détonations lointaines. La raison en est que le petit nombre d'escorteurs nécessaires autour des convois ne peut être utilisé pour détruire les sous-marins. Leurs ordres sont de contraindre les sous-marins à plonger puis de retourner au plus vite vers les navires marchands, espérant que les Allemands vont perdre le contact pendant leur séjour en plongée. La formidable confiance que tout cela inspire aux équipages des U-Boote reçoit un premier coup dur au cours des deux premiers mois de 1941, lorsque les succès diminuent considérablement. Pourtant, ce n'est pas dû à des attaques ratées, mais à l'incapacité des U-Boote à trouver des convois. L'idée que des navires peuvent contribuer à cet état de fait traverse l'esprit de nombreux observateurs et plusieurs procédures sont donc revues pour éradiquer toute fuite éventuelle. Cela ressemble fort à un revers temporaire.

- Puis, soudain, une vague de victimes se fit sentir.
- L'U-100 de Schepke et l'U-99 de Kretschmer sont tous deux perdus lors de l'attaque du convoi HX-112, et Lemp lui-même est finalement chassé par l'escorte. Les incidents de cette nuit fatidique laissent de nombreuses réflexions à bord de l'U-110. Durant ce moment d'émotion, juste avant de s'endormir, beaucoup comprennent qu'ils sont à court de temps. Lemp et ses hommes ont sans doute également entendu parler des graves dégâts subis par l'U-37 (Kptlt Nico Clausen) lorsqu'il est éperonné lors de l'attaque du convoi HX-112, la veille du naufrage du Kretschmer et de Schepke. Et ce n'est pas tout. Plusieurs autres récits similaires de destroyers fonçant à toute vitesse sur des U-Boote circulent, indiquant qu'un éperonnage devenait une possibilité sérieuse. Lemp a à peine atteint Lorient avec son sous-marin endommagé qu'il devient évident que les héros de Scapa Flow à bord de l'U-47, commandé par le Kptlt Günther Prien, n'y parviennent pas non plus. Ce n'est pas tout ; l'U-70 (Kptlt Joachim Matz) a également coulé au début du mois, suivi de l'U-551 (Kptlt Karl Schrott) le 23 Mars, moins d'une semaine avant le retour de l'U-110 à Lorient. L'U-76 (Oberleutnant-zur-See [ObltzS] Friedrich von Hippel) suit peu après.

- Les commandants de U-Boot savent qu'il devient de plus en plus difficile de localiser les cibles et sentent que les escorteurs insistent de plus en plus pour repousser leurs attaques. Jusqu'alors la principale mission des escorteurs est de détruire les U-Boote, puis de retourner au plus vite vers l'écran protecteur entourant le convoi. Début 1941, cette tactique commence à changer. Les commandants d'escorte sont encouragés à s'engager dans des traques plus longues et il est même suggéré qu'ils peuvent également envisager de capturer un U-Boot. Mais il est fortement insisté sur le fait qu'une telle action ne doit être envisagée que si les conditions sont réunies. Se remettre en position autour des navires marchands reste une priorité absolue.

- En Avril, l'U-110 part pour sa deuxième patrouille de guerre, conscient que la vie dans l'Atlantique est soudainement devenue extrêmement précaire. Lemp a failli disparaître lui aussi, mais cette pensée lui échappe jusqu'à ce que, quelques jours plus tard, il aperçoit la proue grise d'un escorteur ennemi qui fonce sur lui. Ce jour fatidique, où Lemp se retrouve confronté à l'écume blanche se détachant de la proue du destroyer qui se dirige sur l'U-110, il comprend qu'il n'y a aucune issue et que sa seule solution est de sauver ses hommes.

- Quelques minutes plus tôt, l'U-110 est en parfait état, batteries et groupes d'air comprimé remplis au maximum pour une attaque en plongée. Tout est calme. Trois torpilles jaillissent du tube d'étrave, les caisses de compensation fonctionnent efficacement, maintenant l'U-Boot sous la surface, lorsque Lemp ordonne soudain, de sa voix calme et posée habituelle, « descendez en profondeur au plus vite ». Il est assis sur sa selle du périscope d'attaque dans le kiosque et l'officier mécanicien, l'ObitzS (Ing) Huns-joachim Eichelborn, en contrebas, près des opérateurs des barres de plongée, ignore totalement ce qui se passe dehors. L'étrave du sous-marin commence à s'incliner et les hommes se précipitent encore pour l'alourdir, lorsque la première charge de profondeur frappe. La force des détonations brise le panneau de commande principal du moteur électrique, qui refuse de fonctionner même après que les interrupteurs soient remis en place. Tous les profondimètres du central et du poste des torpilles avant sont brisés, le chlore gazeux emplit le bateau, obligeant les hommes à enfiler leurs appareils respiratoires, la soute à combustible numéro 4 est éventrée de l'intérieur et plusieurs vannes sont défectueuses. La situation semble sombre, mais Eichelborn n'est pas un débutant. Il ordonne l'installation d'un manomètre sur les principales arrivées d'eau de refroidissement des moteurs diesel et s'assure ainsi que le bateau ne s'enfonce pas dangereusement. L'assiette est excellente, ce qui est une bonne chose car les commandes des barres de plongée ainsi que le gouvernail électrique sont tombés en panne. Le bateau n'échappera certainement pas à une nouvelle attaque de charges de profondeur. Alors que les rapports de dégâts affluent, il devient évident qu'au moins un des arbres d'hélice est tordu, mais personne ne peut examiner cette zone car elle se remplit rapidement d'eau. La situation est sombre. L'U-110 est arrivé à son terme. Cette fois, il n'y a pas d'échappatoire. Lemp ordonne au bateau de faire surface. Sautant sur la passerelle, il ordonne aux hommes de quitter le bord.

Suite de l'histoire.

Glossaire
Source : ENIGMA U-BOATS Breaking the Code (avec mes propres corrections).

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