Capture de l'U-110
(Suite)


Le jour de la capture

- Il est environ 08h30 le 09 Mai lorsque Baker-Cresswell apparaît sur la passerelle du Bulldog afin de s'installer dans la routine quotidienne pour la dernière heure avec le convoi. Le 3rd Escort Group sous son commandement est presque en vue du Groenland, dans une zone jusqu'alors peu fréquentée par les U-Boote, mais il y a suffisamment de carburant pour une dizaine d'heures supplémentaires, plus une généreuse réserve de sécurité pour que les escorteurs puissent atteindre la terre ferme pour se ravitailler. Baker-Cresswell décide de rester avec les navires marchands jusqu'en milieu d'après-midi. Le convoi a récemment dépassé la portée maximale de la couverture aérienne islandaise, mais si un avion avait été dans le ciel, il aurait repéré deux U-Boote se rapprochant l'un de l'autre pour discuter par mégaphone. Leur position juste au-dessus de l'horizon nord les rend invisibles pour les navires marchands. L'un de ces U-Boote est l'U-110 de Lemp et l'autre l'U-201 de Schnee. Les officiers de Lemp sont d'avis de poursuivre leur filature jusqu'au départ de l'escorte. Une suggestion peut-être judicieuse, mais qui ne plait ni à Lemp ni à Schnee. Lemp n'a pas obtenu sa Croix de Chevalier en restant sur place, et Schnee reçoit la même prestigieuse distinction trois mois après cette rencontre, ce qui suggère qu'il n'est pas non plus du genre prudent. Il est décidé que Lemp lancera une attaque en plongée de jour, suivie de l'U-201 peu après.

- Les torpilles de l'U-110 sont lancées deux minutes avant midi, alors que Baker-Cresswell se tient sur son pont, observant le soleil pour déterminer avec précision sa position à midi. Le premier signe indiquant qu'un événement fâcheux est en train de se produire est la vue d'une colonne d'eau s'élevant éclaboussant l'Esmond, le navire de tête de la colonne de droite. Cela provoque la chute à la mer de la cargaison de véhicules qui se trouve sur le pont, comme si un géant avait jeté des jouets. Le bruit sourd de la détonation a à peine atteint le pont du Bulldog qu'une autre colonne d'eau jaillit dans les airs. Cette fois, c'était le Bengore Head, plus au milieu du convoi, qui est touché. Les hommes du convoi regardent la scène avec incrédulité, ne comprenant pas tout de suite qu'ils sont attaqués. Les U-Boote ne sont jamais allés aussi loin à l'ouest et tout semble irréel, presque comme dans un rêve. Pourtant, les escortes réagissent avec une rapidité exceptionnelle. Bien que l'Esmond coule extrêmement vite, son équipage lance les canots de sauvetage et tout le monde peut embarquer sans se mouiller. Bien avant que les hommes ne commencent à ramer pour s'éloigner de l'épave, les escortes ont déjà commencé à riposter.

- Le H.M.S. Aubrietia (Lt-Cdr V. F. Smith) protège le flanc d'où Lemp attaque. Le hurlement aigu des moteurs de torpilles se fait entendre avant que le spectacle impressionnant de la détonation n'annonce ouvertement la présence d'un U-Boote en plongée. De ce fait, les charges de profondeur explosent déjà lorsque la torpille atteint sa cible. La plupart des hommes à bord de l'Aubrietia pensent que cela n'aura pas eu beaucoup d'effet, mais cela ne les empêche pas de lancer une seconde salve quelques minutes plus tard. Cette réaction quasi instantanée doit être dévastatrice pour Lemp et son équipage. Il ne s'attend certainement pas à être la cible d'une attaque de charges de profondeur avant même que ses torpilles ne frappent. Malgré une panne de son système Asdic, l'Aubrietia paralyse gravement l'U-Boot. Les lumières s'éteignent, les jauges éclatent, l'eau gicle et c'est le chaos dans l'obscurité confinée.

- La panne de l'Aubrietia importe peu, car le Bulldog et le Broadway ont tous deux pris contact avec l'Asdic et foncent vers l'endroit suspect lorsque leurs vigies aperçoivent une étrange éruption devant eux, presque comme si un monstre remuait les eaux sous la surface. Peu après, l'U-110 fait surface. Le Bulldog se met immédiatement en route pour l'éperonnage, mais cet ordre est à peine exécuté que Baker-Cresswell comprend qu'une capture est possible. Ordonnant la marche arrière, il immobilise son navire jusqu'à une centaine de mètres de l'ennemi touché. Voyant le Broadway foncer, il ordonne d'allumer le signal « Gardez vos distances » ('Keep Clear') et crie même dans le mégaphone, tout en sachant que personne sur le Broadway ne peut l'entendre.

- Il s'est avéré par la suite que le Broadway avait l'intention de larguer une autre série de charges de profondeur pour empêcher le bateau de plonger, mais cela a échoué.
- Les charges de profondeur explosent, mais le bateau n'est pas stoppé. Au lieu de cela, il heurte le sous-marin de plein fouet. Cela n'aurait peut-être pas été trop grave si les barres de plongée de l'U-Boot n'avaient pas dépassé latéralement sous la surface. Le choc provoque une large déchirure dans la soute à carburant avant, recouvrant toute la zone d'une huile nauséabonde. Ainsi, même si le Broadway a peut-être raté son coup, il a probablement contribué à ce que les hommes de l'U-110 abandonnent leur bateau assez rapidement. L'équipage du sous-marin commence à sortir à l'air libre, prêt, comme nous le savons maintenant, à abandonner le navire, bien que les Britanniques n'en aient pas encore pleinement conscience. Tout cela se déroule extrêmement rapidement et une impressionnante démonstration de tirs a encore encouragé les hommes à abandonner l'U-110 plutôt que de rester sur le pont.

- Pendant que le Broadway panse ses blessures et tente de retrouver un peu de fierté, l'Aubrietia s'affaire à récupérer les hommes du cargo Esmond, torpillé. Une fois cette tâche accomplie, il se fraye un chemin dans ce chaudron d'activité pour secourir les Allemands, qui sont emmenés si rapidement sous le pont qu'ils ne peuvent voir ce qui se passe. Aucun d'entre eux ne voit la baleinière du Bulldog transporter un groupe d'abordage armé vers l'U-Boot.

- Comme cela arrive souvent, divers malentendus ont conduit à des incidents malheureux. Deux hommes, par exemple, quittent la 'baignoire' pour gagner le pont avant, où ils s'agrippent au canon pour se soutenir, mais se retrouvent fauchés, les Britanniques pensant qu'ils vont riposter. Un autre homme, s'effondrant dans les bras d'un sauveteur à bord de l'Aubrietia, vomit une gorgée d'eau de mer et se retrouve projeté à la mer. Apparemment, le marin qui l'aidait a cru qu'on lui crachait dessus.

- Un aspect des événements est entouré d'une grande confusion. On a avancé que cela est dû à une tentative britannique de dissimuler un meurtre de sang-froid. Des sources fiables en Allemagne, qui ont interrogé certains des hommes de l'équipe d'abordage et retrouvé un rapport confidentiel, suggèrent que Lemp a été abattu alors qu'il tentait de remonter à bord de son bateau en détresse. Pourtant, il est extrêmement difficile d'intégrer ce scénario possible dans l'ordre des événements, et même les preuves allemandes ne permettent pas de soutenir une telle fusillade.

- Quelques minutes auparavant, Lemp a apparemment quitté son siège près du périscope d'attaque, à l'intérieur du kiosque, peu après avoir donné l'ordre de plonger. Il ferme le panneau supérieur du kiosque, saute le sol du central (Zentral) et se tient près des commandes de barres de plongée lorsque les premières charges de profondeur le déstabilisent. Des traces de sang sur son front sont observées, mais il semble suffisamment en forme pour prendre les commandes. Il a probablement reçu de sérieux coups, cependant. Il n'est donc pas au meilleur de sa forme au moment d'abandonner le bateau, et nager dans l'eau froide l'aura épuisé encore plus. Son esprit fonctionne visiblement encore, car il ordonne plus tard à plusieurs hommes, dont le premier officier de quart (I.WO), l'ObltzS Dietrich Loewe, de nager jusqu'au bateau pour remonter à bord et le saborder, mais le vent éloigne l'U-110. Loewe raconte plus tard à Dönitz que cette tentative de remontée à bord ne les a pas rapprochés du bateau, bien que certains aient suggéré que Lemp a été blessé par balle lors de cette tentative. Quoi qu'il en soit, il est très peu probable que ces dernières minutes critiques de la vie de Lemp soient un jour éclaircies avec certitude.

- L'équipe d'abordage, sous le commandement du sous-lieutenant (Sub-Lieutenant) David Balme, est composée du matelot de 1re classe (Able Seaman) (AB) Cyril Dolley, de l'AB Sydney Pearce, de l'AB Richard Roe, de l'AB Claude Wileman, du matelot de 2e classe (Ordinary Seaman) (OD) Arnold Hargreaves, de l'OD John Trotter, du chauffeur (Stoker) Cyril Lee et du télégraphiste (Telegraphist) Allen Long. Ils se dirigent directement vers le côté au vent du sous-marin, car c'est le plus proche. Avec les paroles de Baker-Cresswell résonnant dans ses oreilles, selon lesquelles il n'importe pas s'il perd la baleinière, Balme ne veut pas prendre le risque de s'attarder pour traverser la forte houle et rejoindre le côté plus calme. L'abordage est beaucoup plus facile que prévu, car une vague pousse la baleinière sur le pont de l'U-110, effrayant les hommes, mais le coinçant suffisamment pour qu'il ne puisse être déplacé sans aide supplémentaire.

Suite de l'histoire.

Glossaire
Source : ENIGMA U-BOATS Breaking the Code (avec mes propres corrections).

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