La traque prolongée de l'U-744



- L'Oberleutnant-zur-See Heinz Blischke meure d'une mort lente et horrible, mais son habileté, sa ruse et sa détermination sauvent la majorité de son équipage. Sa dernière action commence alors qu'il traque le convoi HX280, qui avance péniblement vers l'est à neuf nœuds. Malheureusement pour l'U-744, le destroyer canadien Gatineau s'est éloigné un peu du navire marchand afin de vérifier son système d'eau distillée. (Ce système produit de l'eau pure pour alimenter la turbine de l'équipe, la réparation est donc de la plus haute importance). Bien qu'il soit une proie facile, le Gatineau continue à balayer la zone avec son Asdic, qui produit rapidement un écho positif. Incapable d'agir lui-même, il transmet la nouvelle au commandant de l'escorte à bord du destroyer St Catherines, qui se précipite pour larguer 10 charges de profondeur. Dans le même temps, le convoi change de cap pour se diriger plus au nord et éviter l'intrus. Le faible écho capté par le Gatineau marque le début de l'une des plus longues chasses aux U-Boote, et le tableau suivant décrit parfaitement la suite des événements. Ironiquement, les dommages subis par le Gatineau ne peuvent être réparés ; il est donc renvoyé en Irlande du Nord sans avoir pu assister à la fin de l'action qu'il a déclenchée.


05 Mars 1944
04h00
 
U-744 plonge.
10h00
Gatineau
Détecte l'U-744 à l'ASDIC.
10h28
St Catherines
10 charges de profondeur larguées.
Aucune réponse.
11h37
Chilliwack
Déploiement du lance-grenades Hedgehog.
Aucun impact.
12h36
Gatineau
22 charges de profondeur larguées lors d'une attaque progressive dirigée par le St. Catharines.
12h44
Chilliwack
22 charges de profondeur larguées.
13h05
Gatineau
Le Hedgehog est utilisé, mais aucune explosion n'est constatée.
13h16
Gatineau
Une charge explosive de type Mark X est lancée, mais n'explose pas.
13h50
Chilliwack
26 charges de profondeur larguées lors d'une attaque progressive, le St. Catharines guidant le Chilliwack vers la cible.
13h57
Icarus
Tir du Hedgehog.
Aucune détonation.
14h58
Tir de Squid.
Aucune détonation.
15h38
Kenilworth Castle
Tir de Squid.
Aucune détonation.
16h42
Fennel
21 charges de profondeur larguées sous la direction du St. Catharines.
16h56
St Catherines
22 charges de profondeur larguées.
19h20
Kenilworth Castle
Tir de Squid.
Aucune détonation.
20h18
Fennel
22 charges de profondeur larguées.
20h29
St Catherines
19 charges de profondeur larguées.
06 Mars 1944
00h23
St Catherines
10 charges de profondeur larguées.
00h41
St Catherines
10 charges de profondeur larguées.
01h09
Fennel
Tir du Hedgehog.
Aucune détonation.
07h51
Fennel
Tir du Hedgehog.
Aucune détonation.
08h21
Icarus
Tir du Hedgehog.
Aucune détonation.
10h04
Chaudière
26 charges de profondeur larguées,
sous la direction du St Catherines.
10h13
St Catherines
22 charges de profondeur larguées,
sous la direction de l'Icarus.
10h50
Chaudiére
26 charges de profondeur larguées.
11h00
Icarus
24 charges de profondeur larguées.
15h32
Tous les bâtiments
L'U-744 fait surface et essuie un feu nourri.
Dix obus de 105 mm, 97 de 40 mm, 480 de 20 mm et 450 d'autres calibres sont tirés.
L'U-744 est abandonné puis coulé par une torpille lancée par l'Icarus.


Constitution de l'escorte
Destroyers
HMCS Gatineau (Lt-Cdr H. V. W Groos)
HMCS Chaudière (Lt-Cdr C. P. Nixon)
HMCS Icarus (Lt-Cdr H. Dyer)
Frégates
HMCS St Catherines (Lt-Cdr H. C. R. Davis)
avec le commandant de l'Escorte (P. W. Burnett RN) à son bord
HMCS Fennel (Lt-Cdr W. P. Molfat)
HMCS Chilliwack (Lt-Cdr G. R. Coughlin)
Corvette
HMCS Kenilworth Castle (Lt J. J. Allon)

- Les hommes à bord de l'U-744 entendent les « pings » de l'Asdic du Gatineau, ainsi que le sifflement aigu du destroyer qui approche. Le bruit des charges de profondeur frappant l'eau peut également être entendu dans tout le sous-marin sans avoir besoin du détecteur de sons sensible. Blischke réagit à la première attaque en se tournant vers le sillage du St Catherines, dans l'espoir de se cacher dans les perturbations qu'il créait lui-même. Bien sûr, il ne peut guère maintenir une telle vitesse et il ne faut pas longtemps avant que le destroyer ne soit suffisamment loin pour obtenir un autre repérage Asdic sur le sous-marin en plongée.

- Hellmuth Jonas, premier officier de quart de l'U-744, qui ensuite sert dans la marine fédérale allemande en tant que Fregattenkapitän, consigne ses impressions sur cet événement fatidique, et Franz Selinger, éminent historien autrichien vivant en Allemagne, rédige une description détaillée du naufrage. Jonas déclare que malgré la tension et les coups violents, il n'y a pas de panique dans le sous-marin. Il n'y a pas non plus de nourriture, car le silence le plus total a été ordonné. Les hommes ne peuvent pas risquer de révéler leur position en faisant du bruit avec des ustensiles de cuisine. Malheureusement pour eux, le système de ventilation est également tombé en panne lors d'une des premières attaques, ce qui les oblige à porter des masques à gaz, un inconfort supplémentaire dans une situation déjà insupportable. Chaque fois qu'un autre escorteur se rapproche pour larguer des charges de profondeur, Blischke ordonne calmement de changer de cap à la vitesse la plus rapide possible afin d'éviter le choc principal de l'impact. Le fait qu'il réussisse à maintenir ce rythme pendant près de 30 heures est un exploit remarquable, qui montre que lui et ses hommes ont très bien appris leur métier. Cependant, l'air devenant de plus en plus vicié, chaque action exige un effort surhumain. Beaucoup d'hommes souhaitaient que la prochaine explosion les frappe, afin de les sortir de la misère de cette expérience des plus horribles. Pourtant, malgré une léthargie douloureuse, ils restent vigilants et réactifs.

- À trois heures de l'après-midi du deuxième jour, Blischke discute des options possibles avec les hommes dans le zentral. L'officier mécanicien, Günter Dreissig, qui va être tué peu après, assure à Blischke que la batterie a encore assez d'énergie pour deux à trois heures, voire plus. Cela dépend de la fréquence à laquelle il doit utiliser la vitesse maximale. Il y a peu d'espoir que les poursuivants abandonnent. Ils sont clairement déterminés à pourchasser le bateau jusqu'à sa destruction et il semble impossible d'échapper à son emprise pendant la nuit qui approche. En fait, la nuit qui s'annonce est considérée comme un désavantage certain. Il y a peu de chances que quelqu'un soit secouru, d'autant plus que la surface de l'océan semble devenir de plus en plus agitée et que l'on pense que les navires de surface ne recherchent pas de survivants pendant une nuit aussi agitée. L'air dans le bateau est irrespirable, l'indicateur de dioxyde de carbone indiquant qu'il n'est plus possible d'y survivre. Rester sous l'eau entraîne une mort certaine. Personne ne sait ce qui peut arriver s'ils font surface, mais il y a une faible lueur d'espoir que la vie des hommes sera au moins épargnée.

- Le Chilliwack s'apprête à larguer des charges de profondeur lorsque l'U-744 fait surface. Ses ballasts remplis d'air comprimé, l'U-Boot semble comme collé à la surface, au-dessus des eaux agitées. Personne à bord n'a la moindre idée de ce qui se passe à l'extérieur et le panneau du kiosque, seule issue, met un certain temps à s'ouvrir. Pendant que Blischke s'efforce de déverrouiller le mécanisme, il devient évident que l'U-744 est la cible d'un intense feu d'artillerie. Finalement, parvenu au sommet du massif, Blischke constate qu'il ne dispose plus d'aucune arme pour une éventuelle riposte. La seule solution raisonnable est d'abandonner le bateau. À peine l'ordre prononcé, il s'effondre, mortellement blessé, et se vide de son sang. Les munitions, déjà préparées pour être transportées au sommet du massif, sont larguées tandis que tous se concentrent sur l'évacuation. Au même moment, des charges de sabordage sont amorcées. Les hommes ont dix minutes pour sauter par-dessus bord, mais la plupart sont épuisés par le manque d'air prolongé, si bien que remonter à bord et affronter la pluie de balles est une tâche lente et pénible. Dans les minutes qui suivent, tandis que chacun est plus que préoccupé par sa survie, les choses se déroulent très vite. Les charges explosives semblent elles aussi souffrir d'un manque d'air frais. Dix minutes s'écoulent sans le moindre signe d'explosion. La plupart des hommes sont si épuisés qu'ils peuvent à peine se tenir debout lorsqu'ils sont secourus. Ceux qui meurent succombent probablement à un épuisement total, plutôt qu'aux tirs nourris dirigés contre eux.

- Ce qui se passe ensuite est difficile à déterminer. Le Chilliwack a bel et bien réussi à mettre une baleinière à l'eau malgré les conditions épouvantables, et il faut saluer le courage de certains de ses hommes qui réussissent à monter à bord de l'U-Boot. Le premier à bord, le Signalman J. R. Starr, semble plus préoccupé par le fait de hisser un pavillon que par celui de descendre à bord pour récupérer des documents secrets. Le lieutenant Atherton, le lieutenant Hearn et le maître Longbottom atteignent le zentral, mais le niveau de l'eau monte rapidement. Selon un témoignage, ils battent en retraite immédiatement après, tandis qu'un autre affirme qu'ils récupèrent plusieurs objets secrets importants, dont la machine Enigma. Quoi qu'il en soit la baleinière chavire peu après, projetant hommes et cargaison à la mer, et la recherche de documents secrets est reléguée au second plan au profit d'une opération de sauvetage massive pour sauver le plus grand nombre possible de personnes. Les informations selon lesquelles un câble de remorquage est attaché au sous-marin semblent hautement improbables et sont contestées par plusieurs chercheurs sérieux, dont le Korvkpt Jonas.

- Cette longue chasse qui conduit au naufrage de l'U-744 est l'un de ces exemples où les deux camps livrent une bataille acharnée et déterminée dans des conditions difficiles. Tout le monde fait preuve d'un courage incroyable. Les hommes de l'U-Boot, de l'escorte et surtout du groupe d'abordage font plus que leur devoir pour leur pays, faisant de cette opération l'une des plus grandes réussites de la guerre. Il y a juste un petit rebondissement mystérieux à la fin de cette magnifique réussite. Il est dans l'intérêt de tous que le matériel capturé soit officiellement déclaré perdu en mer. Cela permet aux Allemands de se disculper de l'abordage de leur bateau et aux Alliés d'avoir une sécurité supplémentaire si quelque chose est capturé. On se demande si tout a vraiment coulé lorsque cette baleinière a chaviré.


Glossaire
Source : ENIGMA U-BOATS Breaking the Code (avec mes propres corrections).

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