Capture de l'U-505
(suite)

- Il n'y a guère le choix. Remonter à la surface est suicidaire. La seule solution pratique est de plonger, mais le ping fantomatique de l'Asdic résonnant dans le bateau indique à tout le monde qu'ils sont déjà localisés. Deux détonations retentissantes aident l'U-505 à descendre à une profondeur plus sûre. Les lumières s'éteignent. L'eau s'engouffre à plusieurs endroits à l'intérieur du sous-marin. La plupart des équipements électriques, y compris la pompe de ballast indispensable pour expulser l'eau qui s'est infiltrée, refusent de fonctionner. Les barres se bloquent. Certains hommes gémissent de douleur tandis que d'autres sont sous le choc et restent silencieux. Ceux qui sont restés conscients s'occupent des urgences. Incapables d'évaluer les dégâts ou de faire grand-chose pour les réparer, ils doivent soit descendre dans les profondeurs où la pression de l'eau écrasera le bateau, soit utiliser le dernier recours consistant à chasser aux ballasts avec de l'air comprimé. Lange donne l'ordre de suivre cette dernière procédure de sauvetage. Tout le monde à bord sait que cela va entraîner très probablement l'abandon du bateau.

- Lorsque le bateau fait surface, Lange est prêt, attendant près du panneau du kiosque donnant sur la passerelle. Sautant sur le pont, il est accueilli par une rafale de coups de feu et l'ordre d'abandonner le navire sort de sa bouche quelques secondes avant qu'il ne perde connaissance. Son cerveau tourne dans une confusion douloureuse tandis que le sang coulant sur son front brouille sa vision. Reprenant quelque peu le contrôle de son corps, il ordonne de tourner la proue vers la source principale des tirs afin que les hommes puissent s'échapper par l'arrière du massif. Lange est bientôt entouré de jambes qui s'agitent et, le sang obscurcissant toujours sa vision, il perd à nouveau connaissance. Lange ne peut pas dire combien de temps il est resté allongé là.

- Il prend ensuite conscience qu'il se trouve sur le pont et tente de se hisser, mais son corps ne répond plus aux ordres de son cerveau. Il n'a aucune idée de la manière dont il est descendu du sommet du massif et ne peut que rester allongé, à demi conscient, regardant ses hommes libérer les radeaux de sauvetage de leurs conteneurs étanches. Peu après, il est emporté par les vagues, mais a la chance que deux hommes le tirent et le poussent dans un radeau de sauvetage. Son gilet de sauvetage, comme le reste de son corps, est perforé à plusieurs reprises par des éclats d'obus et n'est plus d'aucune utilité. Ses blessures rendent même difficile le simple fait d'observer. Plus tard, on découvre qu'un gros éclat de bois lui a transpercé la paupière, manquant de peu l'œil lui-même. Il a la chance d'être repêché par un destroyer et de recevoir les soins médicaux appropriés. Il est ensuite transféré sur le porte-avions où on lui apprend que son bateau a été capturé.

- Les 'ravisseurs' de l'U-505, un groupe Hunter-Killer composé du porte-avions Guadalcanal et des destroyers Chatelain, Flaherty, Jenks, Pillsbury et Pope, sous le commandement du capitaine Daniel V. Gallery, ont quitté Norfolk, en Virginie. Leur objectif est de se concentrer sur une zone au sud des îles Canaries, où les U-Boote ont l'habitude de se rassembler pour se ravitailler en carburant. La possibilité de capturer un U-Boot a traversé l'esprit de Gallery et d'autres, et chaque navire a formé une équipe d'abordage spécialement entraînée à cet effet. Lorsque le Chatelain entre en contact avec l'U-505, ils se trouvent à environ 150 miles de l'Afrique.

- Comme Lange le décrit dans son récit, l'attaque a été rapide et précise. En fait, les premières charges de profondeur sont lancées si rapidement qu'elles n'ont pas pu être réglées à une profondeur suffisante. Deux chasseurs Wildcat sont rapidement envoyés pour aider à localiser le sous-marin en immersion. L'un d'eux plonge, tirant sur l'eau où l'ombre du sous-marin est visible. Presque instantanément, une autre série de charges de profondeur placées avec précision suit. L'U-505 fait surface, et des munitions antipersonnel plutôt que perforantes sont utilisées pour empêcher les Allemands de manœuvrer leurs canons et les encourager à abandonner rapidement leur bateau, sans toutefois l'endommager trop lourdement. Cela fonctionne bien. Lorsque le premier groupe d'abordage arrive sous le commandement du lieutenant Albert David, il trouve le seul homme restant sur le pont mort. L'U-505, qui se déplace encore à environ 9 nœuds et dont les barres de direction sont bloquées, a auparavant créé un certain drame en se retournant contre le Chatelain, qui a tiré une torpille sur le bateau vide, pensant qu'il est attaqué.

- Finalement, après quelques manœuvres délicates dans une mer agitée, un groupe d'abordage du Pillsbury réussit à monter à bord. Le Zentral au bas de l'échelle est déjà inondé jusqu'aux genoux, mais cela n'empêche pas les assaillants de s'emparer de documents secrets, de livres et de la machine Enigma. Le second mécanicien Zenon Lukosius constate que de l'eau s'engouffre par un filtre de 20 cm de diamètre dont le couvercle a été retiré. Bien qu'il patauge déjà dans l'eau à bord d'un sous-marin en train de couler, il se met calmement à la recherche du couvercle, le remet en place avec beaucoup de difficulté et empêche ainsi le bateau de couler davantage. Entre-temps, un autre groupe d'abordage du Guadalcanal, sous le commandement du commandant Earl Trosino arrive, ce qui donne lieu à une véritable fête à bord de l'U-505.

- À un moment donné, on peut croire que tout le groupe Hunter-Killer va monter à bord, même si ce n'est pas une très bonne idée, car le bateau continue à s'enfoncer. À mesure qu'il s'enfonce de plus en plus dans l'eau, il est rapidement devenu évident que relever la proue du bateau n'a pas été une bonne idée. Avec les barres de plongée on espère le maintenir à flot, mais l'arrêt de la propulsion avant fait s'enfoncer le bateau encore plus profondément. Le Pillsbury s'approche pour descendre des tuyaux afin de pomper l'eau. Cependant, cela ne se passe pas bien. Comme d'autres avant lui, il ne tient pas compte des barres de plongée de l'U-Boot. Le destroyer s'est trop approché et un grand trou est percé dans sa coque, inondant deux des compartiments de la proue.

- L'U-505 est finalement remorqué par le Guadalcanal, tandis que les destroyers patrouillent les eaux environnantes au cas où d'autres U-Boote apparaissent. Gallery doit emmener sa prise à Dakar, en Afrique, le port ami le plus proche, mais il reçoit rapidement l'ordre de faire demi-tour et de tenter de la ramener aux Bermudes. On estime qu'il y a trop de sympathisants allemands en Afrique pour risquer que l'U-505 y soit vu. L'U-505 n'a pas utilisé sa radio et les dirigeants américains sont déterminés à préserver le secret de l'opération afin de tirer le meilleur parti du matériel capturé. On pense que l'arrivée d'un U-Boot un port africain ne restera pas longtemps secrète et le remorqueur Abnaki, ainsi que le pétrolier Kennebec, sont dépêchés pour aider à la traversée de l'Atlantique, longue de 1 700 miles.

- L'U-505 est finalement amené à Port Royal, aux Bermudes, le 19 Juin 1944. Les États-Unis ont capturé leur premier navire de guerre depuis 1815. Dans l'excitation générale, les Américains affirment que l'U-505 est le premier sous-marin allemand à avoir été abordé et capturé. Il est assez étrange que cela soit inscrit sur une plaque de bronze longtemps après la guerre, alors que les autorités devaient être au courant de la capture de l'U-570 plus de deux ans auparavant, mais la déformation officielle de l'histoire faisait déjà partie du quotidien.

- Il semble très probable que Bletchley Park savait déjà une grande partie de ce qui a été récupéré à bord de l'U-505 et que les documents confidentiels n'avaient qu'une valeur limitée. Cependant, les Américains ne vont pas se priver de tirer tout le profit possible de leur exploit et emmènent l'U-505 pour une longue tournée à travers les États-Unis après la guerre. Finalement, lorsque l'intérêt pour l'U-Boot s'estompe, le bateau est laissé à l'abandon dans le chantier naval de la marine américaine à Portsmouth, en Virginie. Découvrant qu'un des fils de Chicago a participé à la capture, la ville lance un appel pour que le bateau y soit amarré en tant que mémorial de guerre permanent. C'est ainsi que l'U-505 entame son dernier voyage de 3 000 miles le 14 Mai 1954. Remontant le fleuve Saint-Laurent et traversant les Grands Lacs, il arrive finalement sur les rives du lac Michigan. Là, le bateau est mis en cale sèche afin d'en retirer le plus de poids possible. Le carburant et le lest restants sont retirés pour l'alléger afin qu'il puisse être sorti de l'eau et traverser la route pour être déposé à côté du Musée des sciences et de l'industrie, où il peut encore être visité aujourd'hui. (1)

- Le commandement des U-Boote, durement touché par le débarquement en Normandie, ne remarque pratiquement pas la disparition de l'U-505 lors de son voyage de retour. L'U-Boot continue d'apparaître dans les rapports quotidiens jusqu'à la mi-Juillet, date à laquelle toute référence à celui-ci disparait sans aucune explication quant à sa perte. Les survivants mènent une vie relativement idyllique jusqu'à quelque temps après la guerre, lorsqu'ils sont rapatriés en Allemagne.

Source : ENIGMA U-BOATS Breaking the Code (avec mes propres corrections).

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